Le scandale du sang contaminé a été une immense tragédie, qui nous a permis de tirer bien des enseignements

03/01/2017
Histoires de patients

Je suis né en 1952 et on m’a diagnostiqué une hémophilie B sévère à l’âge de 11 mois. Les oncles de ma mère en Angleterre sont morts de cette maladie quand ils étaient jeunes. À Montréal en 1953, un petit groupe d’hémophiles, leurs familles (dont mes propres parents et grands-parents) et des médecins ont créé la Société canadienne d’hémophilie.

Dans les années 1950 et 1960, le traitement pour l’hémophilie B consistait à administrer du plasma frais congelé (PFC) en intraveineuse, ce qui voulait dire un séjour à l’hôpital de trois à cinq jours en moyenne tous les mois. Chaque poche de PFC ne contenant que de petites quantités du facteur de coagulation déficitaire, il fallait d’importants volumes pour faire cesser les hémorragies articulaires. Le plasma frais congelé n’était pas efficace en cas de chirurgie grave et une simple ablation de l’appendice pouvait être mortelle.

C’est une maladie curieuse s’il en est car une semaine par mois, vous vous retrouvez en incapacité totale alors que le reste du temps, vous vivez quasi normalement. J’ai manqué un tiers de mes jours de classe, mais cela signifie aussi que j’avais du temps pour lire. À l’hôpital, j’ai appris à apprendre par moimême, ce qui est une compétence fabuleuse dans la vie. À cette époque, tous les enfants faisaient des séjours réguliers à l’hôpital si bien que tout naturellement, on s’y faisait des amis. Aujourd’hui, du fait des traitements à domicile, les enfants ne vont plus à l’hôpital qu’une ou deux fois par an pour des contrôles. Ils n’entretiennent donc plus ces amitiés nouées à l’hôpital avec d’autres enfants souffrant de la même maladie qu’eux. Maintenant, on construit ces relations précieuses lors des camps de vacances l’été.

C’est au début des années 1970 que les concentrés de facteurs de coagulation susceptibles d’être injectés à la maison ont commencé à faire leur apparition. J’ai rapidement appris à m’auto-perfuser et cela a bouleversé ma vie. En 1972, j’ai fait un tour d’Europe à vélo, de l’Angleterre jusqu’à Athènes, ce qui n’aurait jamais été possible si je n’avais pas pu emporter mes concentrés sur moi.

Aujourd’hui, on voit des enfants qui, grâce aux progrès des traitements, sont incapables d’identifier une hémorragie lorsqu’elle se produit et qui ne connaissent pas les conséquences de ces saignements. Il faut les former aux causes à l’origine des hémorragies et à savoir comment identifier les saignements pour les prévenir. Le traitement préventif pour les enfants fait vraiment la différence à long terme au niveau de l’état de leurs articulations. Nous voulons faire grandir les enfants de sorte que leurs articulations restent en bon état et qu’il ne faille pas les leur réparer plus tard.

« À présent, mon objectif est de transférer mes connaissances à la jeune génération. Mon message aux plus jeunes est le suivant : restez informés et impliqués dans votre santé et dans vos soins. C’est de votre vie dont il s’agit. »

Les personnes âgées atteintes d’hémophilie souffrent à chaque pas car littéralement parlant, chaque pas est une souffrance. Les dégâts ont été causés dans leur jeunesse. En plus de la douleur, elles ressentent une souffrance émotionnelle. Certaines se sentent isolées au plan social et sont incapables de jouer un rôle au plein sens du terme dans la société. D’autres peuvent ne pas avoir reçu d’éducation car elles n’ont pas pu fréquenter les bancs de l’école. D’autres ont le sentiment d’être une charge pour leur famille. Au Canada, les jeunes malades s’épargneront quasiment toute cette douleur et toutes ces souffrances. Certes, les piqûres sont toujours très fréquentes, mais par rapport à ce qui se faisait avant, c’est quasiment le jour et la nuit. Cela étant dit, les inhibiteurs sont le pire cauchemar des parents car lorsqu’un enfant développe un inhibiteur, c’est un véritable retour 50 ans en arrière.

Au début des années 1980, la Société canadienne d’hémophilie a permis de construire un réseau de centres de traitement de l’hémophilie à travers le Canada qui dispense des soins médicaux complets tout au long de la vie des patients. On dénombre 25 centres de traitement de la sorte au Canada. Le patient est au cœur d’un cercle de soins qui associe un hématologue dûment formé, un infirmier coordinateur, un physiothérapeute spécialisé en prévention et en rééducation, un travailleur social et un psychologue afin d’accompagner les patients dans leur apprentissage de la vie au quotidien avec une maladie chronique.

Pour les parents, la difficulté consiste à trouver le bon équilibre pour ne pas surprotéger leurs enfants, sans pour autant être négligents ou être dans le déni de la maladie. Certains parents déclarent : « Mon enfant est normal, il peut tout faire ». C’est faux. J’encourage les gens à se former sur la maladie de leur enfant et à être le plus ouverts possible aux autres, sans faire un tabou de la maladie.

L’hémophilie est devenue une maladie que l’on peut traiter dans les pays développés, avec une espérance de vie proche de la normale. Dans de nombreux pays, toutefois, la situation n’a guère évolué depuis 50 ans, la disponibilité des produits de facteur VIII (FVIII) et de facteur IX (FIX) étant toujours inexistante, tout comme l’expertise de cette maladie dans les hôpitaux. Dans le monde, 75 % des personnes atteintes d’hémophilie reçoivent un traitement inadapté, voire pas de traitement du tout. Beaucoup meurent avant l’âge de 20 ans et s’ils survivent, souffrent de handicaps. Ces 20 dernières années, la Société canadienne d’hémophilie a mis sur pied 10 partenariats de jumelage réussis avec des pays en développement pour les aider à construire leurs propres organisations d’hémophiles et les épauler dans leurs efforts pour éduquer leurs membres et plaider en faveur de soins.

La contamination de milliers de Canadiens avec le virus VIH et celui de l’hépatite C a été la pire catastrophe de santé publique au Canada et elle aurait pu être évitée. Ce fut une période terrible pour tout le monde : patients, familles et professionnels de santé. Des personnes vivent encore avec les conséquences de cette contamination et certaines ont été dans l’incapacité de retisser une relation de confiance avec le système de soins. La crise a été une immense tragédie, dont on a toutefois tiré d’énormes enseignements. La Commission Krever (1993–1997) a été constituée à l’époque pour enquêter sur les allégations selon lesquelles le système d’organisations publiques, privées et non-gouvernementales chargées de l’approvisionnement en sang et en produits sanguins auprès du système de soins avait autorisé l’utilisation de sang contaminé.

Nous sommes une communauté militante et exigeante. En général, les personnes atteintes d’hémophilie ont tendance à être déterminées. Une fois qu’elles ont une idée en tête, elles n’y renoncent pas facilement.

Nombre de nos membres, dont moi-même, avons témoigné. C’était extrêmement pénible d’entendre ce qui s’était passé et d’apprendre qu’une partie de la catastrophe aurait pu être évitée. La Commission Krever a conduit à de nombreux changements dans les établissements du sang à travers le monde et je suis fier du chemin parcouru.

Au Canada, en ce moment, le don de plasma rémunéré est un sujet brûlant. Notre organisation a tendance à considérer que les produits provenant de donneurs rémunérés sont aussi sûrs que ceux issus de donneurs non rémunérés. Il nous faut plus de plasma et le seul moyen d’en obtenir davantage passe par la rémunération des donneurs. Pour certains, c’est une hérésie en raison des problèmes des années 1970 et 1980. Toutefois, il faut pouvoir remettre en cause les idées préconçues et s’intéresser à la science et aux faits. Les choses ont bien changé depuis le scandale du sang contaminé et grâce à tous les progrès scientifiques, des leçons ont été tirées. La question principale qui se pose à présent, c’est celle de la sécurité de l’approvisionnement en produits pour les patients.

Nous sommes une communauté militante et exigeante. En général, les personnes atteintes d’hémophilie ont tendance à être déterminées. Une fois qu’elles ont une idée en tête, elles n’y renoncent pas facilement. C’est un héritage de l’enfance, lorsque ces enfants ont appris à se confronter à des difficultés et à gérer des professionnels de la santé qui ne savaient pas de quoi ils parlaient. Nous savions quelles veines utiliser dès l’âge de 4 ans, et nous étions confiés aux mains d’internes, si bien que dès notre plus tendre enfance, nous avons appris à nous affirmer afin de recevoir les soins qui nous étaient indispensables.

Heureusement, les plus jeunes aujourd’hui n’ont pas à vivre ce que nous avons traversé pendant les années 1980. La Société canadienne d’hémophilie est engagée dans de multiples comités de sécurité sanguine et participe à des conférences médicales. Nous essayons d’impliquer les jeunes générations et de leur accorder la place qui leur revient dans les décisions à prendre. À présent, mon objectif est de transférer mes connaissances à la jeune génération. Mon message aux plus jeunes est le suivant : restez informés et impliqués dans votre santé et dans vos soins. C’est de votre vie dont il s’agit.

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